Dissolution – Recomposition
10 juin 2024
La dissolution de l’Assemblée Nationale par Emmanuel Macron marque une énième manœuvre politicienne de sa part. Elle n’est pas la marque d’une soudaine prise de conscience ou autre, ni celle d’un stratège, mais d’un parieur jusqu’au-boutiste et je-m’en-foutiste (puisque son avenir à lui est assuré quoiqu’il en soit). S’il « assumait« , il aurait démissionné.
Nous pouvons en tirer des conclusions assez évidentes quant à ses intentions, qui sont multiples :
- L’objectif pour lui est évidemment de garder le pouvoir, et continuer à servir ses commanditaires de l’oligarchie néolibérale.
- Ce faisant, son but n’est pas et n’a jamais été de lutter contre l’extrême-droite, dont il n’a pas hésité à adopter certaines des politiques. Sa feuille de route s’en accommode.
- Son autre objectif principal est d’affaiblir autant que possible la gauche, à savoir LFI, dont les orientations dérangent sa mission.
- D’un point de vue personnel, il ambitionne sans doute de poursuivre sa carrière à la présidence de la commission européenne.
Un bloc de droite extrême.
En effet, si l’on regarde objectivement les politiques menées, les politiques soutenues et les politiques défendues par les différentes mouvances, les écarts entre les orientations économiques, sociales ou sécuritaires du RN, de Reconquête (RQ), de LR, de Renaissance et affidés (Modem, Horizons…) que nous noteront RMH, sont devenues négligeables. Les nuances entre elles se situent plutôt sur le plan européen : qui veut une UE fédéraliste ou qui n’en veut pas ? Car concernant les orientations économiques, les votes dans les divers parlements prouvent que le RN ne propose pas une autre voie que LR et RMH. Sur les orientations sécuritaires et xénophobes, ces derniers ont montré qu’ils n’avaient rien à envier au RN, à RQ ni LR (je ne crois pas que RMH dans son ensemble soit fondamentalement raciste ni anti-raciste, mais cela ne les dérange pas, ne représentant pour eux qu’une variable d’ajustement, un instrument politique – qui n’a manifestement « pas marché » non plus…) – la surenchère des RN/RQ n’étant pas empiriquement possible. Quant à la nuance sociétale entre RN/RQ/LR et RMH sur les minorités, elle ne constitue pas une différence politique significative car cela ne fonde pas un programme.
Bref, si le score du RN constitue un problème et l’expression de celui-ci, la problématique ne s’y limite pas car nous avons là un bloc de droite extrême qui, intérieurement, fait déjà front uni face à la gauche depuis 2017.–
Gauche unie avec LFI ou Scission issue de la « gauche de droite » ?
Du côté des principaux partis qui se disent de gauche, à savoir LFI, PCF, Les Verts, PS et affidés (Place Publique), la ligne qui sera déterminée nous donnera les vraies motivations des appareils, car vu le temps imparti ce sont eux qui trancheront les alliances dans un premier temps – leurs électeurs devront le faire dans un second avec la problématique significative du biais médiatique que l’on sait. Les deux options en lice sont :
- Celle d’une gauche radicale (sur une base programmatique de la NUPES, effectivement sociale, écologiste, pour les libertés et anti-raciste ; par conséquent souverainiste puisque contrevenant aux traités UE) ;
- Celle d’une gauche de droite (d’abord fédéraliste donc peu sociale, peu écologiste, peu anti-raciste (Frontex), volontiers sécuritaire, otaniste – abandon accepté en vue du siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU et de l’autonomie de notre dissuasion nucléaire.
Si l’on se réfère aux inclinations tacticiennes de leurs leaders actuels, Tondelier pour Les Verts, Roussel pour le PCF, la priorité devrait être d’écarter LFI, et donc d’abandonner la première option (gauche de gauche) sur l’autel de leur carte personnelle. Ils rejoindraient alors PSPP dans une « gauche » édulcorée, UE compatible (le PC n’ayant pas de députés européens, peu lui chaut), sociale-démocrate, de droite en somme comme elle l’a montré par le passé : celle qui a déjà échoué par reniement voire trahison en France et UE. Car PSPP veut aussi se débarrasser de LFI (objectif de Glucksmann), sans quoi il ne pourra pas espérer renaître. Il fera mine d’ignorer que les élections nationales (Hidalgo 1,75%) ne sont pas les Européennes (PSPP pille les écologistes mais leur total baisse à 13 + 5 (-1) au lieu de l’inverse, et échec de la tentative d’isolement de LFI qui progresse à 9 vs 6), qui sont, elles, terminées.
Ainsi, à moins que leurs députés dissous ne frondent (permettant un clivage sincère car il reste sans doute des gens de gauche au PS mais le PS n’est plus de gauche), la ligne pour cette « gauche » sera déterminée par la tactique politicienne des dirigeants vis à vis de LFI – tout en faisant porter médiatiquement la responsabilité d’une désunion à ce mouvement (rien de neuf…).
De ce fait, ce sera à leurs électeurs de montrer où ils en sont réellement avec la gauche : sont-ils d’abord en faveur du social, de l’écologie et de l’anti-racisme, ou d’abord pour le fédéralisme européen en en acceptant les conséquences économiques, écologiques et géopolitiques logiques ?
Vers un bloc bourgeois officiel ?
Une scission LFI/Gauche de droite constitue, comme nous l’avons évoqué, l’objectif réel de Macron. Sauf s’il souhaite une cohabitation tactique avec le RN, cela lui permettrait éventuellement de s’en détacher en vue de constituer un bloc bourgeois « de gouvernement » présentable, si possible fédéraliste, qui se prétendrait raisonnable, du centre, avec force greenwashing à la clef. Ainsi il pourrait garder le cap européiste, favorisant toujours la globalisation économique et ses conséquences, dans l’optique de ses ambitions de reconversion européennes (et même de tenter un come-back en 2032). Son autre allié potentiel serait LR, mais réduit à la portion congrue étant donné ses scores nationaux, et dont il faudra voir s’il préférera rejoindre RMH ou RN/RQ.
Une question en suspens : en ne présentant pas de candidat face à « l’arc républicain » auto-désigné et usurpateur, et dans l’optique d’un large bloc bourgeois d’union (PSPP-RMH-LR), Macron va-t-il sacrifier ses propres troupes de députés ?
Le Barrage des Anti-Républicains
28 juin 2022
“La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance.” Maître Yoda.
Avez-vous vraiment cru un jour au barrage « républicain » ? Nous, non : si Chirac détestait Le Pen et son RN, ce n’était déjà pas le cas de tous les membres de son parti, le RPR.
Aussi, faire croire à d’autres que la droite puisse préférer voter pour la gauche plutôt que pour un autre pan de la droite, qui pousse ses humeurs tristes un peu plus loin encore, constitue une escroquerie d’une rare malhonnêteté de la part de ce camp.
Pour résumer la situation présente, nous avons aujourd’hui un président ayant demandé à la gauche et à ses électeurs de le faire élire au nom d’un front républicain et qui, six semaines plus tard, a renié ce pacte en déniant à la gauche le barrage contre le RN qu’elle lui avait accordé, alors que ses propres électeurs du premier tour à lui dédaignent tout à fait le barrage en question et se satisferont qu’il obtienne des majorités avec des députés RN ou même gouverne avec Le Pen.
Nous avons pu vérifier ce dernier point, dont nous avions l’intuition, comme nous le verrons plus loin.
Mélenchon a toujours été plus clair et partisan d’une ligne dure que les PS terranoviens devenus LaRem, sans parler des traîtres du parti LR recrutés par Macron, concernant le RN. Il voulait l’interdire. Vous pourrez retrouver ses prises de position de longue date.
C’est pourquoi Mélenchon, et par extension la gauche d’aujourd’hui, est l’ennemi numéro 1 de Le Pen, et pas Macron.
Les dissidents du PS, que le maintien d’un faux-semblant électoral, la croyance en une meilleure capacité de nuisance en interne, ou l’espoir d’arracher un morceau de la dépouille du parti lors d’un congrès de scission, ont retenu jusqu’ici de rejoindre la majorité présidentielle et qui avaient décidé de jouer le jeu de Macron contre la NUPES, ont été balayés largement par les électeurs. Ces delgadistes, qui sont des mesquins, voulaient en effet en même temps conserver leurs sièges et leur fausse conscience de gauche tout en bénéficiant de la bienveillance macroniste, et en sont donc amers et très énervés, mais contre la NUPES alors qu’ils ont contribué à faire élire contre elle une vingtaine de députés d’extrême droite. Nous avions déjà vu naître ce biais pro-Macron de Delga contre la gauche lors des élections régionales.
Macron, lui, est très directement responsable de l’élection des députés RN vainqueurs des duels les opposant à ceux de la NUPES, soit environ la moitié des 89 individus constituant le groupe parlementaire de leur parti. La contribution chez Ensemble ! à ces duels fut la suivante : 72% abstention 16% NUPES 12% RN, conforme à la rhétorique de Ponce Pilate. C’est beaucoup de responsabilité pour un seul homme.
Sauf erreur, aucun média du cercle de la raison ne s’est offusqué du lourd passif de son champion.
La pire élection d’un président de la V° république avait déjà rendu le programme de Macron illégitime. Son reniement, aux législatives, des électeurs l’ayant fait élire précédemment, lui interdit toute légitimité personnelle.
Au total, les trois-quarts des députés RN, soit plus ou moins 70, sont donc dus au renoncement républicain de Macron et de ses affidés d’Ensemble ! et delgadistes qui ont eu peur de la NUPES, non sans une bonne dose de jalousie pour les seconds. Ceci est certes scandaleux, mais vu les circonstances de l’élection de Macron d’une part, et les vertus morales dont se targuent les toujours bien-pensant macroniens et delgadistes d’autre part, cela est honteux au plus haut point. Leur préférence au RN face à la gauche constituera pour leurs mouvements une tache indélébile qui les marquera d’ignominie à jamais.
Sauf erreur, les mainstreams n’ont pas voué aux gémonies ces antirépublicains de fait.
Ce barrage des antirépublicains clarifie également les choses en prouvant la continuité de l’existence du clivage droite-gauche, dont les thuriféraires du « TINA[i] » ont voulu nous vendre la disparition, parce qu’ils avaient intérêt à ce que la seule droite subsiste. Ainsi aujourd’hui avons-nous :
- à gauche la NUPES et l’extrême gauche LO/NPA ;
- fort à droite, le PS dissident, l’extrême-centre Modem-Renaissance-Horizon-etc., le parti LR de droite-extrême, le RN d’extrême-droite, Reconquête de droite identitaire.
Il n’y a pas de différences de nature entre toutes ces droites, seulement des écarts de degrés. Et l’on vient de constater que les antirépublicains n’en font guère de cas contre la gauche.
Ceux qui, à gauche et pourquoi pas à droite, auraient cru au barrage anti-RN en sont pour leurs frais. Ceux qui, en votant RN, auraient cru à un pan social populaire et anti-européiste, n’auront plus que leurs yeux pour pleurer. En effet, dans les états-majors de la droite, un maître et une aubaine : le néolibéralisme et la manne des financements publics. Espérons que ces électeurs en tirent les conséquences si l’occasion de voter à nouveau leur est offerte.
Les électeurs de la droite Ensemble ! et delgadiste ne sont cependant pas en reste côté éthique appliquée. Ils ont non seulement montré leur préférence pour le RN par rapport à la gauche, participant de la faillite morale globale de leurs chefs de file, mais la justification de leur choix ajoute encore à l’opprobre qui les afflige désormais. Cela va de « la gauche a fait pareil », ce qui est factuellement faux si l’on compare les reports de voix des électeurs de gauche lors du second tour de la présidentielle (selon le parti : abstention max 45% ; vote Macron min 44% ; vote Le Pen max 13%) à celui des électeurs d’Ensemble ! du second tour des législatives (revoir plus haut) ; à « tous les moyens sont bons pour gagner » ce qui rangerait le barrage antirépublicain au rang de la tactique – ce qu’il n’est pas puisque nous avons constaté partout l’adhésion de la droite aux thèmes d’extrême droite et un rejet de ceux de la gauche. Mais le serait-il, tactique, il renforcerait l’affliction morale des tenants de la manœuvre préférant jouer avec la République que de laisser la démocratie les contrarier – et jouer ainsi signifie tolérer le fascisme. En réalité, la tactique consiste seulement à ne pas les inclure dans son gouvernement, pour les garder comme perdants utiles en 2027.
Finalement, la hauteur des points de vue des électeurs d’obédience de droite va donc de « c’est pas moi qui ai commencé » à « baise ton prochain » : ça se pose là côté déréliction morale.
Que jamais plus donc, la nébuleuse de ces partis, de leurs responsables à leurs électeurs ou sympathisants, et à leurs médias, journalistes ou éditorialistes, ne vienne nous parler de postures morales, ou encore de « fachos » intérieurs ou extérieurs, ils se sont disqualifiés en la matière pour toujours.
Pour autant, ce pacte antirépublicain établi entre la macronie et l’extrême-droite à l’issue de la longue séquence électorale de 2022 n’est pas pour nous étonner. En effet, il ne formalise que la suite logique de la complaisance coupable des médias dominants, privés comme publics, qui ont hébergé des mois durant les thèmes et intervenants de l’extrême-droite comme autant de leurres pour éloigner les préoccupations sociales et écologiques majeures de leurs antennes. Ces médias et ceux qui y sévissent ont eux aussi eu très peur de Mélenchon puis de la NUPES. Ils en sont devenus haineux à leur encontre. Ce qui nous donne l’occasion de citer la formule originelle de George Washington Carver adaptée pour la guerre des étoiles : « La peur de quelque chose est la graine qui mène à la haine des autres, et la haine portée en soi finit par détruire celui qui la nourrit. »
Pour le plus grand bien de notre démocratie, nous souhaitons donc à ces médias une disparition prochaine, et/ou un grand remplacement à la hauteur de leur déchéance par des voix et les médias alternatifs qui méritent, eux le nom de journalisme.
Contrairement à ce que l’on entend beaucoup, nous ne sommes pas en France dans une situation comparable à l’Allemagne des années 1930. Nous sommes plutôt dans une configuration à l’espagnole de la même époque. Ce qui n’est guère plus réjouissant. La gauche demeure le camp républicain, d’autant plus en constatant ce qu’il vient de se produire contre elle. Les droites du bloc bourgeois inégalitaire, qui veulent se maintenir au pouvoir coûte que coûte, et quoi qu’il en coûte à la République, restent les légitimistes, et s’accolent à leurs pendants identitaire et raciste.
Une situation à l’espagnole donc, avec Macron en futur Franco, qui nous a déjà montré son goût pour l’autoritarisme, la violence physique à l’encontre des opposants, le détournement de l’appareil judiciaire, la protection de son clan envers et contre toute séparation des pouvoirs, les manigances électorales, la connivence avec l’oligarchie, la contorsion du vocabulaire, l’instrumentalisation des médias, etc.
À l’origine, Macron n’est qu’un fanatique économique, du néolibéralisme européiste qui lui a été inculqué lors de ses études, et voyages d’études de type Young Leaders – qui lui a appris l’otanisme servile. C’est pourquoi l’ennemi numéro 1 de Macron est la gauche, pas le RN. Sur le reste, son comportement relève de la girouette, d’où sa propension à tous les renoncements qui pourront favoriser les occasions de pousser sa politique économique antisociale, fussent-ils brutaux, grossiers, honteux : s’associer à l’extrême-droite n’en représente que l’aboutissement paroxystique.
Macron comme Franco donc, Macron comme godillot… car ne nous y méprenons pas, il n’est que l’exécutant d’un système qui le dépasse et dont il n’incarne que le premier des crédules : d’où les rhétoriques aussi éculées que le ruissellement, les équilibres par concurrence libre et non faussée, ou la chasse à l’assistanat pour nous mettre tous ces profiteurs de minima au travail, et pourquoi en esclavage jusqu’à la mort… Quid de la privatisation des profits communs et de la socialisation des pertes capitalistes ? Nous ne le saurons pas, Macron ne débat de son bilan qu’en son for intérieur.
Chez ces gens-là, on ne pense pas monsieur, on ne pense pas, on compte.
Les antirépublicains sont donc sortis du bois, ils vont collaborer activement ou passivement, mais aussi s’affronter en querelles pour la suprématie interne aux prochaines élections.Les républicains quant à eux, n’auront qu’à se le tenir pour dit et surtout à se tenir debout, en travaillant à maintenir la flamme et à la faire grandir pour parvenir à supplanter, le pire.
NB : Contrairement aux autres chroniques (https://linversens.wordpress.com), ce texte n’est pas issu du roman « La Foule Haineuse Reconnaissante » présenté sur le site https://emmanuelbitz.com (résumés, extrait, téléchargement, vente).
[i] Il n’y a pas d’alternative (au néolibéralisme).